Collectif Maison de l'Air
Collectif pour un usage populaire de la Maison de l'Air du Parc de Belleville
Contre les Halles civiques
Le 12 mars 2018 a été inauguré, sous le nom de “Les Halles Civiques”, un espace dédié par la Mairie de Paris aux expérimentations démocratiques. Ce projet a la noble ambition de “redonner du pouvoir d’agir aux citoyens”, formulation complaisante qui présuppose que les citoyens ont un jour disposé d’un pouvoir dont ils auraient été privés par on ne sait quel sort funeste. Une ambition démocratique bien floue qui finit d’être ruinée par la brutalité des moyens utilisés pour imposer une solution apte à servir le plan de communication de nos édiles parisiens, pressés de tenir leur rang dans la troupe des villes-mondes connectées, intelligentes et nettoyées de l’asocialité.
L’installation de la Halle Belleville, un des deux sites des Halles Civiques, dans l’ancienne Maison de l’Air du parc de Belleville repose en effet sur une double captation de l’espace public : l’espace public urbain en soustrayant un équipement à l’usage local que les habitants souhaitent lui voir jouer et l’espace public démocratique en le préemptant au profit d’une nébuleuse d’associations liées d’une façon ou d’une autre au pouvoir municipal. Deux mauvais coups en un seul dont il convient d’examiner les ressorts.
Une captation de l’espace public urbain
Fermée depuis deux ans, la Maison de l’Air fait l’objet d’un appel à concurrence lancé par la Mairie de Paris, visant à y installer une activité privée de bar/restauration.
Les habitants se sont mobilisés afin que ce projet soit abandonné, que l’appel à concurrence soit annulé et qu’une concertation publique auprès des habitants et associations soit lancée, en privilégiant des propositions solidaires, non marchandes et d’intérêt général.
En juin dernier, la Mairie de Paris a lancé un appel à projet pour une occupation temporaire qui ciblait un projet de «Civic hall». Les habitants ont de nouveau dénoncé cette façon de faire qui parachute un projet sans que puisse se dérouler une véritable concertation : on arrive donc à ce paradoxe qu’un projet censé concerner la démocratie soit imposé de la façon la moins démocratique qui soit.
Une captation de l’espace public démocratique
L’espace public est un concept développé par le philosophe Jurgen Habermas dans les années 1970. Sous le nom d’espace public bourgeois, il désigne l’ensemble des dispositifs grâce auxquels se déroule la discussion publique pour aboutir à la formation des opinions dans nos démocraties représentatives. Cet espace rassemble les institutions publiques, les médias et d’une façon générale tous les espaces de discussion que permettent les libertés publiques. Le qualificatif de bourgeois est une notion politique qui renvoie au fait que les trois grandes révolutions démocratiques (Angleterre 1689, Etats-Unis 1787 et France 1792) ont été des révolutions bourgeoises mettant fin à des régimes monarchiques. Ceux qui trouvent daté ou connoté l’adjectif bourgeois, peuvent parler d’espace public institutionnel ou d’espace public dominant (voire hégémonique).
Toujours est-il que l’espace public de Habermas laisse de côté tout ceux qui n’y ont pas la parole ou qui ne se reconnaissent pas dans le citoyen rationnel normé de la théorie politique : les pauvres et les femmes (jusqu’à une époque récente), les exclus, les sans-voix, les rebelles. Mais tous ces laissés-pour-compte n’ont pas tardé à créer ce qu’Oscar Negt appelle des espaces publics oppositionnels pour recueillir la multitude de leurs expériences de vie, de leurs luttes et leurs utopies concrètes. Des luttes anti-coloniales à l’alter-mondialisme, de Mai 68 à Nuit Debout, de l’anti-psychiatrie aux combats LGBT, d’Occupy Wall Street à la place Tahrir, des collectifs de chômeurs à la solidarité avec les migrants, toutes ces luttes ont institué un droit à parler, à être représenté et à être respecté.
Et ce sont bien entendu tous ces contre-espaces publics qui méritent d’être soutenus, hébergés, valorisés, car ce sont eux qui portent la véritable inclusion et l’ingénierie sociale.
La Mairie de Paris ne joue pas à contre-emploi dans son rôle de facilitateur de la participation des citoyens aux politiques publiques. Mais tel n’est pas le cas des associations qui ont accepté d’endosser l’habit de fossoyeur des aspirations légitimes à un début de démocratie directe, manifestées par les collectifs locaux de citoyens.
Peut-on imaginer que les Halles Civiques, fourre-tout d’associations hébergées par la Mairie de Paris, subventionnées par la Mairie de Paris, prestataires de la Mairie de Paris, auront une quelconque crédibilité vis-à-vis des populations frondeuses de Belleville ? Elles ne seront que la triste vitrine d’une démocratie participative vue comme un service de promotion de l’action municipale.
Peut-on imaginer que les acteurs des Halles Civiques, professionnels de la concertation dopés à la commande publique, élus à la recherche d’un sas de reconversion vers les métiers du conseil, jeunes politiciens utilisant un marchepied vers les places en position éligible sur les futures listes de la reconversion politique parisienne, prendront le risque de témoigner de l’éclat de rire qui libère, de la colère qui gronde, du désespoir silencieux ?
Ils s’intéresseront bien plutôt au “peuple du marché”, celui qui vote avec sa carte bancaire, ses likes géolocalisés et ses applis connectées. Celui qui fait ses classes dans les espaces de coworking et les cafés branchés avant de rejoindre le troupeau de la bourgeoisie mondialisée.
En conclusion
Nous t’invitons, peuple de Belleville, à ne pas céder aux appels trompeurs de l’espace public bourgeois, si bien représenté par ces Halles Civiques qui débarquent chez toi pour te demander un avis qui ne sera jamais que consultatif. Nous n’en sommes pas encore au jour où on te donnera du pouvoir en échange de ta participation. Tu as donc bien mieux à faire comme, par exemple, rejoindre le Collectif Maison de l’Air et te battre pour que cet espace magique devienne une maison commune, un commun oppositionnel comme le dit joliment Pascal Nicolas-Le Strat, ou encore investir ton action et ton intelligence dans les nombreux espaces publics oppositionnels que Belleville accueille, dans les squats, les collectifs, les assemblées populaires, les cafés associatifs et les coopératives.
Olivier Belmontant,
mars 2018.
Mise à jour, avril 2019
En novembre 2018, le mouvement des gilets jaunes fait irruption sur la scène sociale et politique. En décembre 2018, les Halles civiques accueillent un colloque sur le “municipalisme” à la sauce Hidalgo, sans même remarquer que Paris est en feu. En janvier 2019, le bail précaire des Halles civiques est reconduit “jusqu’à la fin de la mandature”. Les grandes manoeuvres municipales sont lancées, les troupes de la générale Hidalgo s’apprêtant à affronter celle du maréchal Griveau dont le leadership est cependant menacé par le mamelouk Majoubhi. Pendant ce temps-là, le sombre Person, député de Belleville, oeuvre déjà dans l’ombre d’un Guerini, au financement de la future campagne pour la réélection de Macron. Ce sont donc bien des enjeux municipaux et nationaux qui se jouent autour de ce Belvédère de Belleville et de cette Maison de l’air dont nous voulons faire une Maison du Peuple, un contre-pouvoir populaire, un espace public oppositionnel.
Il est donc toujours aussi urgent de rejoindre le Collectif Maison de l’Air, L’Assemblée des Gilets jaunes de Belleville, la Cabane jaune de la place des Fêtes ou l’un des nombreux collectifs de notre quartier, afin de défendre nos droits, notre dignité et notre fraternité.